Il y a quelques mois, j’ai eu un échange très intéressant avec l’une de mes patientes, sur l’évolution du droit des femmes en Belgique. Peu après, elle m’a envoyé une liste relatant des moments importants de l’évolution du droit des femmes depuis un peu plus de deux siècles. Elle m’a autorisée à utiliser le fruit de ses recherches.
La lecture de ces 6 pages m’a ébahie, alors que je connaissais déjà quelques-unes de ces étapes.
Les évolutions portent sur des matières diverses telles que l’accès à l’enseignement et l’accès au travail, le droit de vote et d’éligibilité, la contraception et l’avortement, l’égalité juridique, l’égalité salariale, le droit successoral, la violence envers les femmes, le viol entre époux, le divorce, le mariage, l’adoption, …
Parmi ces étapes, certaines concernent plus précisément la femme mariée et son statut juridique. Nous verrons que cette évolution a un impact sur la dynamique des couples, et donc sur les crises que ceux-ci traversent et qui les amènent en thérapie.
Je vous propose quelques extraits commentés. J’ai choisi les évolutions qui me semblent avoir eu le plus d’incidence sur l’organisation et la répartition du pouvoir au sein du couple, par le biais de l’autonomisation financière et juridique de la femme, qui sont corrélés.
Première étape: 1804!
A cette époque, la Belgique en tant qu’Etat autonome n’est pas encore née mais le Code Napoléon est imposé dans tous les pays occupés et annexés par l’Empire napoléonien. Il sera donc appliqué dans toutes les provinces belges dès 1804.
Après 1831, le même code sera maintenu dans la jeune Belgique indépendante sous le nom de Code Civil (1).
Et celui-ci consacre l’incapacité juridique totale de la femme mariée ! De la même façon que si elle était mineure, c’est son époux qui détient le pouvoir d’administration de ses biens et donc de ses revenus.
On voit comment la hiérarchisation et la répartition du pouvoir au sein du couple est donc au départ régulée et fixée de façon totalement rigide par la loi.
A partir de la seconde moitié du 19ème siècle, la femme mariée va très lentement gagner quelques étapes vers son autonomie financière et juridique, faisant doucement bouger des lignes instaurées de longue date au sein du couple.
Le laborieux accès à l’enseignement.
En matière d’enseignement, il faut attendre 1864 pour voir s’ouvrir le premier établissement d’enseignement officiel moyen pour filles. Et c’est l’œuvre d’une femme : Isabelle Gatti de Gamond. Le cycle secondaire supérieur sera ouvert en 1891.
En 1873, L’UCL refuse d’inscrire Isala Van Diest en faculté de médecine. La hiérarchie religieuse s’y oppose et le recteur lui propose de devenir sage-femme !
L’ULB est la première université à ouvrir ses portes aux filles en 1880, alors qu’elles n’ont pas encore accès aux secondaires supérieures. L’ULg suit en 1881 et Gand en 1882.
Louvain restera sur sa position de fermeture pendant encore 40 ans et cèdera en 1920.
Pourtant, dès le 10 avril 1890, une loi a autorisé l’accès des femmes à « tous les grades académiques et aux professions de médecins et de pharmaciens ».
En 1907, un premier athénée pour filles est fondé à Gand, qui leur offre un enseignement secondaire supérieur et leur facilite l’accès à l’université.
Quant à son statut juridique.
Sur le plan du statut de la femme mariée, il aura fallu attendre 1900, pour que la loi belge lui reconnaisse le droit à l’épargne, le droit à obtenir un contrat de travail et le droit de toucher une partie de son propre salaire.
En 1958, le code civil abroge le principe de « puissance maritale » et d’obéissance de l’épouse. La femme mariée reste cependant assimilée à une mineure sur le plan du droit.
Ce n’est qu’en 1970 que la loi instaure l’égalité parentale. Les parents peuvent désormais exercer conjointement les prérogatives de l’autorité parentale. Mais le mari garde une position prépondérante en cas de désaccord entre les parents.
L’égalité complète sera acquise quelques années plus tard, en 1973.
1972 : Enfin, le mariage ne modifie plus la capacité civile de la femme !
1976 : Le Code Civil proclame l’égalité totale des époux, qui choisissent ensemble et de commun accord le lieu de la résidence conjugale (avant, la femme était tenue de suivre son époux qui décidait seul). La femme mariée a le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari.
En 1984, le droit successoral protège le conjoint survivant (majoritairement des femmes) et lui octroie notamment l’usufruit du domicile conjugal, c’est-à-dire le droit d’y rester.
2007 : La loi simplifie largement et accélère la procédure de divorce dont le coût devient nettement plus abordable.
2012 : Une loi est votée, qui vise à lutter contre l’écart salarial entre homme et femme.
2014 : les parents peuvent choisir le nom de famille que portera leur enfant : celui de la mère, du père ou des deux dans l’ordre qu’ils choisissent. En cas de désaccord, c’est cependant le nom du père qui prime, ce qui est discriminatoire…
Pour conclure … ou pas.
Pour faire le point sur la question de l’accès de la femme au travail donc à une rémunération et à l’autonomie financière, il reste à souligner que l’écart salarial entre les rémunérations des femmes et celles des hommes reste de près de 23,7% en 2019 en Belgique, tenant compte des rémunérations horaires et de la répartition (inégale) du temps de travail.
Cela implique donc qu’il continue d’exister, à l’échelle macrosociale, un déséquilibre pécuniaire entre homme et femme, qui se répercute dans le couple. Cela a pour conséquence de hiérarchiser le couple, ce qui peut mener à des jeux de pouvoir figés et à des impasses relationnelles mortifères pour le couple.
La Loi ne peut évidemment pas tout et nombre de couples parviennent à s’affranchir de ces limites par leur organisation interne. Ce n’est néanmoins pas toujours le cas.
Il reste des combats à mener sur le plan juridique, au niveau sociétal.
Pour nous, thérapeutes du couple, la connaissance et la compréhension de ce bain social patriarcal dans lequel nous vivons est éclairante car, si nous nous rappelons que le couple est la plus petite entité sociale, nous allons plus aisément identifier les enjeux sociétaux qui se joue dans ce microcosme qu’est le couple, notamment au travers d’enjeux de pouvoir parfois extrêmement puissants.
(1) – A la question qu’est-ce qu’un Code civil ? Portalis, un des rédacteurs du Code, a répondu : « c’est un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux les hommes qui appartiennent à la même cité. »
Jean Etienne Marie PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet du code civil, Edition de 1804.